Revolution Bolivarienne

La „Revolution Bolivarienne“ a l’epreuve de urnes et de faits

Huit ans de pouvoir n'ont pas usé Hugo Chávez. Le leader de la gauche latino-américaine devrait obtenir dimanche un nouveau mandat. Du «bolivarisme» au «socialisme du XXIe siècle», aperçu d'un phénomène qui bouleverse les rapports de force au sud du Rio Grande.

La tension monte à Caracas et dans toute l'Amérique latine, à l'approche de l'élection présidentielle vénézuélienne. Cet Etat sud-américain de 27 millions d'habitants focalisera dimanche toutes les attentions, tant il symbolise le conflit qui domine, depuis près d'une décennie, la scène politique continentale. Un intérêt qui tient également au rôle central – politique et financier – tenu par Caracas dans la constitution d'un pôle de résistance à l'hégémonie étasunienne. Premier élu, en 1998, de la vague rose-rouge, Hugo Chávez sollicitera ce week-end un nouveau mandat, avec l'ambition déclarée de «construire le socialisme du XXIe siècle». Démocratie participative, protectionnisme économique, échanges Sud-Sud, contrôle des changes, encouragement aux petits producteurs, investissements sociaux, éducatifs et sanitaires... la recette «bolivarienne»1 est connue.


Boom économique
En face, encore mortifiée par l'échec de son référendum révocatoire de 2004, l'opposition s'est regroupée autour du gouverneur du Zulia, l'Etat pétrolier aux appétits séparatistes. Le «social-démocrate» Manuel Rosales promet le retour de la «libre entreprise» et des relations pacifiées et renforcées avec les Etats-Unis. Sans pour autant toucher aux «missions» sociales réalisées par Chávez, essentiellement critiqué pour son «autoritarisme».
Pourtant, si chaque camp tente de dramatiser l'élection pour mobiliser son électorat, le climat paraît bien apaisé, en regard aux précédents scrutins. Le boom économique que connaît le pays – plus de 10% de croissance annuelle – n'y est pas étranger. De même, les programmes sociaux mis en oeuvre depuis que l'Etat a repris le contrôle de PDVSA, la société pétrolière, ne sont guère critiqués... sur le principe. (suite en page 9) (suite de la page 8) Leur efficacité, en revanche, prête à débat. A droite, bien entendu, mais aussi à gauche. Elu sur la promesse d'aider les 70% de Vénézuéliens vivant sous le seuil de pauvreté, Hugo Chávez n'est-il qu'un «populiste»? L'ampleur et la réalité du processus de démocratisation engagé fait aussi polémique. Comment l'étendre à l'économie? Peut-on parler de démocratie participative lorsque les réformes sont impulsées au plus haut niveau de l'Etat? Peut-on construire le socialisme dans une économie de marché? En somme, peut-on parler de «Révolution» et pour quoi faire?

Sondages favorables au président
A en croire les sondages, qui donnent des écarts allant de six à trente points, la réélection d'Hugo Chávez ne devrait être qu'une formalité. Raison de plus, nous a-t-il semblé au Courrier, pour passer au crible ce «processus bolivarien» qui n'a peut-être pas fini de bouleverser notre regard sur la mondialisation.
Note : 1De Simon Bolivar (1783-1830), artisan de l'indépendance face à l'Espagne, partisan de l'unité latino-américaine et inspirateur d'Hugo Chávez.


 
«Le danger principal, c'est la bureaucratisation»

Essayiste, journaliste, traducteur, réalisateur, Dario Azzellini coiffe les casquettes comme il prend l'avion pour l'Amérique latine. Depuis une quinzaine d'années, ce politologue d'origine italienne partage sa vie entre Berlin et son sous-continent d'adoption. Observateur engagé, Dario Azzellini ne pouvait demeurer insensible aux transformations sociales en cours au Venezuela. Avec l'artiste autrichien Oliver Ressler, il vient coup sur coup de leur consacrer deux documentaires remarqués. Après Venezuela depuis en bas bouclé en 2004, le Berlinois présentait récemment en Suisse romande son dernier film, Cinq fabriques, consacré aux expériences autogestionnaires dans l'industrie vénézuélienne (lire ci-dessous). Le Courrier en a profité pour obtenir son éclairage sur le processus politique et social initié par Hugo Chávez.


On a souvent l'impression en Europe que la «révolution bolivarienne» est un processus construit d'en haut, depuis le gouvernement. Quelle est l'importance du mouvement social auquel vous avez consacré Venezuela depuis en bas?
La situation est complexe. On peut dire qu'il y a une conjonction entre l'action menée par Hugo Chávez et une conjoncture sociale propice. Le Venezuela possède une longue histoire de luttes radicales très méconnues en Europe. Mais pour ce qui est du mouvement bolivarien, son point de départ se situe en 1989, lorsque le président Carlos Andrés Pérez promulgue un paquet de mesures structurelles élaborées par le FMI. En une semaine, une insurrection se propage à tout le pays. La répression militaire fera 3000 morts, selon les ONG. Le «bolivarisme» puise là ses racines. D'abord parce que la répression va dégoûter nombre de militaires qui renforceront le secteur critique de l'armée organisé autour de Chávez. Mais aussi parce que cela marque la coupure populaire avec le système. La rencontre entre le peuple et Chávez aura lieu en 1992, lors de deux tentatives de coup d'Etat manquées mais populaires. Les années qui suivront seront des années de forte croissance des mouvements de base, ouvriers, étudiants, de quartier, même s'ils demeurent encore coupés des masses, lorsque Chávez remporte la présidentielle en 1998. Celui-ci va alors mener une politique pédagogique incitant les gens à s'organiser pour défendre leurs droits. Toute la logique de la Constitution qu'il fait adopter est dans cet appel à l'auto-organisation. Mais c'est surtout le coup d'Etat de 2002 qui provoque le déclic, les gens prenant conscience qu'ils peuvent tout perdre.

Quelle est l'autonomie d'un tel mouvement social?
Je dirais que le processus bolivarien est caractérisé par ce mouvement parallèle entre la société civile et le pouvoir politique, chacun donnant des impulsions à l'autre. L'Etat incite à l'auto-organisation puis la soutient, mais ne la dirige pas. Les organisations, elles, appuient les politiques du gouvernement... qui vont dans leurs intérêts. Contrairement à d'autres expériences révolutionnaires, le gouvernement du Venezuela n'a pas imposé une contradiction centrale, par exemple entre le capital et le travail. Preuve en est la grande diversité d'organisations existant: ouvriers, ingénieurs, voisins, gays, etc. Le mouvement se structure d'abord en fonction des impulsions citoyennes, puis de celles du gouvernement.

N'y a-t-il pas des contradictions entre les intérêts du gouvernement et ceux de la société civile organisée?
C'est sûr. Je pense que le danger principal que court le processus bolivarien, bien plus que de perdre face à l'opposition, c'est la bureaucratie. Que les intérêts de telle administration, de tel responsable ne prennent le pas sur ceux de la base. Selon moi, la forte abstention du scrutin législatif de 2004 n'est pas due au boycott de la droite, mais bien plus à la lassitude de certains électeurs bolivariens face à la fermeture des partis qui se répartissent les candidatures. Ce risque bureaucratique rend d'autant plus importante l'action de la société civile. Et cela Chávez le sait parfaitement.

Comment l'Etat suscite-t-il l'auto-organisation?
Principalement, autour de ses programmes sociaux, dont la plupart prend en compte cette dimension. Par exemple, pour se voir attribuer un médecin de quartier dans le cadre du programme Barrio Adentro, la population locale doit impérativement créer un Comité sanitaire d'appui. Même chose pour la légalisation des occupations urbaines. Pour obtenir un titre de propriété, les habitants de ces quartiers pauvres doivent former un Comité de terre urbaine. Celui-ci, avec l'aide de techniciens, mènera les tractations avec l'Etat. Sans comité, pas de titres de propriété!

N'y a-t-il pas un risque que les populations qui disposent de davantage de compétences sociales et organisationnelles ne monopolisent ces projets participatifs, et que les plus exclus le demeurent?
Bien sûr! C'est le risque. Nombre des coopératives formées ces dernières années l'ont été par des personnes de la classe moyenne. Mais de nombreuses initiatives ont été prises pour y remédier. Par exemple, les militants du Front Francisco Miranda, composé de jeunes qui ont suivi des formations spécifiques à Cuba, vont dans les quartiers les plus marginalisés pour les aider à s'organiser.


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